Le pacte de responsabilité: « non, non, rien n’a changé, tout, tout a continué ».

17 janvier 2014

Le pacte de responsabilité: « non, non, rien n’a changé, tout, tout a continué ».

"La gauche bouge"

Une exégèse peu rassurante

«Des voeux de combat et d’avenir», avaient promis les proches de François Hollande à l’occasion de l’allocution télévisée du président de la République le 31 décembre. Alors que le couperet des derniers chiffres de l’emploi venait de tomber, annonçant officiellement l’échec de la promesse d’inverser la fameuse courbe du chômage avant fin 2013 (En novembre, 17 800 demandeurs d’emploi sans activité supplémentaire), le président et son équipe ont martelé être sur la bonne voie. N’en déplaise à ceux qui ne «le perçoivent pas», comme le suggérait Benoît Hamon dans l’émission « Tous Politiques » sur France Inter le 5 janvier, François Hollande a donc abattu ses cartes lors du réveillon. Au coeur du discours, qui a repris l’ensemble de l’aventure française de 2013 (l’Afrique, l’Europe, la crise, la réforme des retraites, l’éducation, le mariage pour tous, etc.), il a annoncé la mise en place d’un pacte de responsabilité entre l’État et les entreprises, résumé ainsi: « moins de charges et moins de contraintes sur l’activité », contre « plus d’embauches et de dialogue ». Si la dernière contrepartie était déjà logiquement présente dans le programme du candidat en 2012, la première, en revanche, a suscité grincements de dents et surprise de la part de la gauche comme de la droite. Ainsi, l’ex-ministre de l’Ecologie Delphine Batho, libérée des carcans de la communication gouvernementale, s’est étonnée que « l’évolution du président vers une ligne « social-libérale » ne soulève pas davantage de critiques » au sein de la majorité. (JDD, 4/01/2014). Et Jean-Pierre Raffarin de s’amuser « C’est vrai que François Hollande nous a fait des voeux relativement à droite ».

En proposant la fin des cotisations familiales patronales, le président de la République a répondu à une vieille exigence de classe du Medef et fait un nouveau cadeau de 30 milliards au patronat après les 20 milliards du Cice (Crédit d’impôt compétitivité pour les entreprises). Aucune mention n’a été faite des «contre-parties» incluant le paquet surprise du chef de l’État, si l’on exclue les négociations de branche. Sans surprise, le président du Medef Pierre Gattaz a salué «le plus grand compromis social depuis des décennies», affirmant au passage que ce discours allait «dans le bon sens», et qu’il témoignait d’une «prise de conscience de la réalité de la France» (Le Figaro, le 15/01/14).

Le « tournant » de Hollande avait déjà été débattu après ses voeux du 31 décembre. Mais quel tournant ? Celui d’un socialiste vers la social-démocratie, ou bien celle, plus radicale comme aiment à nuancer certains, d’un socialiste «mou» vers le social-libéralisme ? En tout cas, il s’agit bien «d’une accélération», «d’un approfondissement» de la politique menée, selon certaines déclarations de ministres du gouvernement début janvier. De façon plus insidieuse, certains ont confirmé qu’il «assumait». Mais quoi, au juste ? Pour un proche (anonyme) du président, interrogé par le JDD, c’est la mutation similaire à celle «de 1984 ou de 2000, la logique sociale-libérale», que François Hollande assume. Et pourtant, à l’issue de son discours, interrogé sur sa politique économique, il a encore clamé ne pas s’être engagé vers la voie libérale, pourtant bien clairement affirmée dans ses annonces.

Du coté des réactions de la presse, le doute est, en revanche, moins présent. Excepté la presse d’opinion du courant de l’opposition (Le Figaro), tous s’accordent à affirmer, ou à avouer, selon les réticences, le virage tant annoncé.

 Rupture, décalage ou coming out ?

A l’occasion des 150 ans du SPD, le parti social-démocrate allemand, à Leipzig, François Hollande avait déjà suscité des avis partagés en louant les réformes du marché du travail menées en Allemagne par l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder : « Le plus grand démantèlement social qu’ait connu l’Allemagne depuis l’après guerre », déplorait alors Thomas Nord, député du parti Die Linke (gauche radicale) au Bundestag (Libération, 23/05/2013). Puis, ce sera au tour du Pacte de Compétitivité, annoncé en novembre 2012, d’inquiéter, de révolter, mais sans pour autant faire s’esquisser dans les esprits l’idée d’un changement radical de politique. Question de visibilité, sûrement. La médiatisation des voeux du Président expose donc ici clairement ce que Hollande essaie de nous faire comprendre depuis près de deux ans déjà. Pourtant, la technique est osée: l’annonce du Pacte de Responsabilité est formellement bancale: d’un côté, « moins de contraintes sur les activités » ; de l’autre, « plus de dialogue social ». Selon Le Monde, ces deux derniers éléments, non quantifiables, ne se situent pas – ou pas seulement – dans le registre des externalités que les entreprises sont censées prendre en charge (du fait de leur «responsabilisation»). En somme, s’il est bien explicite que les entreprises seront de nouveau privilégiées et mises au coeur des efforts de l’État, rien n’est clairement dit sur les conditions du dialogue social, de ses acteurs ou de ses objectifs (Le Monde du 9 janvier 2014). A croire que ce dernier, censé être au coeur de tout discours socialiste, ne sert qu’à appuyer la timidité du Président à afficher son libéralisme.

L’UMP n’en mène pas large, malgré le scepticisme déclaré de ses membres quant à l’application du Pacte. Et cela n’est pourtant pas pour réjouir les sympathisants socialistes: car en assumant une politique sociale-démocrate, voire sociale-libérale, le président a coupé l’herbe sous le pied de l’opposition. Moins de charges sur les entreprises, moins de dépenses publiques, moins d’impôts… Le nouveau programme économique de Hollande dame le pion à la droite, dans une similitude évidente avec les voeux de M. Copé du 30 décembre: « Il est urgent de baisser drastiquement les impôts, les charges sociales et la dépense publique, de supprimer sans trembler toutes les réglementations absurdes » (Le Monde, 7/012014).

Le «tournant» annoncé doit donc s’analyser à deux niveaux: le premier est celui qui oppose la période où François Hollande était encore candidat à l’élection présidentielle et celle d’aujourd’hui. À ce premier degré, il y a bien une rupture entre l’annonce et les pratiques. Ainsi, pour Elie Cohen, qui répond au Monde, le 8 janvier 2014: « les choix politiques affichés par le président lors de ses vœux sont en rupture par rapport à ceux qu’il a faits depuis son élection», évoquant l’augmentation des impôts ou la réduction des dépenses publiques. En revanche, rien à dire sur la continuité des pratiques avec le discours du candidat Hollande aux primaires socialistes de 2011: à l’époque, rappelle l’économiste, l’ancien secrétaire du PS avait focalisé son programme sur la résorption de la dette, plaidant pour un rééquilibrage des comptes publics plus rapide et radical que celui proposé par le PS. Il défendait enfin déjà l’idée d’un « pacte productif », n’hésitant pas à se présenter, dans son livre Le Rêve français (Privat, 2011), en promoteur de « l’esprit d’entreprise ».

Il semble donc acquis que les paroles et les actes ne collent pas. Mais faut-il vraiment parler de « tournant », voire de virage « social-démocrate » ou n’est-ce pas tout simplement l’affirmation d’une synthèse social-libérale faite lors de sa conférence de presse du 14 janvier ? Il n’était pas nécessaire d’attendre cette épiphanie télévisuelle pour se rendre compte que l’argument de la « rupture idéologique » ne tient pas. Il était pourtant clair que François Hollande ne s’inscrivait pas dans la lignée d’« un Jaurès ou d’un Blum » (Le Monde, 8/01/2013). Dépassons donc un débat stérile, qui n’est au fond qu’une vaine tentative pour masquer l’adhésion du socialisme aux valeurs libérales, s’inscrivant de fait dans le droit chemin qu’avait déjà pris François Mitterrand en 1983.

Quand la gauche « bougeait »…Il y a trente ans

Il faut remonter aux années 1980, aux premiers pas de François Hollande en politique, pour comprendre les origines du discours libéral de ce dernier. Dès sa sortie des bancs de l’ENA, au sein de la célèbre «promotion Voltaire» (1980), il s’engage modestement dans la campagne présidentielle de 1981 – en temps que jeune auditeur à la Cour des comptes – pour l’Union de la Gauche. Après l’élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981, et deux premières années de présidence marquées par la nomination de ministres communistes et de quelques nationalisations, 1e plan de rigueur de 1983 marque un premier « tournant » dans la conversion du Parti socialiste à l’idéologie néolibérale, marquant la naissance du consensus des socialistes autour d’une gauche se qualifiant de « moderne ».

C’est dans un ouvrage collectif tombé dans l’oubli, aujourd’hui « épuisé » et volontairement non réédité, que se trouve l’embryon idéologique de l’actuel « tournant social-démocrate ». C’est en relisant La Gauche bouge (publié en 1985 aux éditions Jean-Claude Lattès), qu’on peut observer comment François Hollande prônait ouvertement le libéralisme (sous le pseudonyme de Jean-François Trans), aux côtés de Jean-Pierre Jouyet, ancien camarade de promotion, et de ceux du mouvement « Trans-courants » interne au PS (Jean-Michel Gaillard, Jean-Yves Le Drian et Jean-Pierre Mignard). Les cinq jeunes cadres du Parti Socialiste affichaient tous une ambition politique claire : la création d’une «troisième voie» basée sur l’acceptation de l’économie de marché mondialisée et «une réflexion progressiste coupée de tout courant idéologique». Dans le contexte des politiques néolibérales d’alors, il semblerait qu’une politique économique de gauche, fondée sur une relance par la demande, ne correspondait plus à la vision de ce mouvement qui se disait alors aussi attentif « au progrès social qu’à l’efficacité économique ». On peut ainsi lire dans l’ouvrage que « ce n’est pas par calcul ou par malignité que la gauche a accepté de laisser fermer les entreprises ou d’entamer le pouvoir d’achat des Français. C’est par lucidité. Refuser ces évolutions et c’en aurait été fait de la perspective d’une gestion régulière du pays par la gauche » (La Gauche bouge, p.53).

Le mouvement « Trans-courants » a alors créé le club politique « Démocratie 2000 », avec quelques autres personnalités comme Jean-Pierre Jouyet et Ségolène Royal, afin de revendiquer, selon son ancien trésorier François Silva, une « certaine social-démocratie à la française » (Blog de Sylvain Rakotoarison, 19/05/2007). Choisissant Jacques Delors comme président honoraire dès sa fondation, les membres du club projetèrent de « faire bouger les lignes figées », à l’instar de la polémique  sur la construction européenne (d’où l’adhésion de François Hollande au Traité de Rome de 2004 n’ayant, in fine, pas été ratifié). Par la suite, le refus de Jacques Delors de participer aux élections présidentielles de 1995 et la victoire de Lionel Jospin aux législatives de 1997 marquèrent la fin des « Trans-courants ». Certains se rapprochèrent du Premier ministre de la troisième cohabitation ou de Dominique Strauss-Kahn, et d’autres se tournèrent vers la députation. Ce retour surprise de la gauche au pouvoir a permis à François Hollande de se faire oublier en retrouvant son siège de député et en étant choisi comme premier secrétaire du Parti Socialiste de 1997 à 2008, selon le souhait de son prédécesseur Lionel Jospin. Durant cette dizaine d’années, il se présentera aux européennes de 1999 et à la mairie de Tulle en 2001 et 2008, qu’il gagnera, et soutiendra son ex-femme Ségolène Royal pour les élections présidentielles de 2007. Mais durant toute cette période, il restera assez effacé, son rappel de l’adoption par le Parti Socialiste de l’économie de marché, lors de son discours pour le centenaire du parti en 2005, affirmant que c’était la forme « la plus efficace » de création de richesses (Le Figaro, 14/12/2007).

Le 26 novembre 2008, lors du Congrès de Reims, François Hollande, remplacé à la direction du Parti Socialiste par Martine Aubry, commence à préparer son programme pour l’élection présidentielle de 2012. Alors qu’il n’était que le n°2 derrière Dominique Strauss-Kahn, archi-favori des sondages, François Hollande faisait peu parler de lui mais avait déjà choisi son camp idéologique. En témoigne le choix du nom de l’association qu’il créera avec Jean-Marie Cambacérès, autre camarade de la promotion Voltaire, « Démocratie 2012 ». Ayant pour but de « rassembler la Gauche et les forces de progrès » (Démocratie 2012, 9/01) au nom de la social-démocratie, elle était pourtant un signe avant-coureur de l’accord des socialistes actuels avec le libéralisme mondialisé. Citons toujours Hollande, alias Jean-François Trans, au milieu des années 1980 : « Il ne s’agit plus d’assurer la représentation politique de la classe ouvrière alors que les catégories sociales perdent en cohésion et que le salariat s’est profondément recomposé, ou de renforcer encore l’État-providence alors que celui-ci parvient de plus en plus difficilement à se financer et que les risques traditionnels sont correctement couverts ».

Finalement, le libéralisme de François Hollande n’a jamais faibli, en trente ans de carrière politique. Suite aux multiples abandons des salariés d’Arcelor Mittal ou de Florange, entre autres, au bénéfice des entrepreneurs, ce « Pacte d’irresponsabilité sociale », dénoncé par Pierre Laurent dans l’Humanité le 15 janvier, a définitivement fait tomber le masque socialiste, qui ne doit plus tromper personne, et a affirmé la politique libérale menée par le président et son gouvernement.

Étiquettes
Partagez

Commentaires