Le simulacre du matraquage fiscal : à qui profite le « ras-le-bol » ?

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Le simulacre du matraquage fiscal : à qui profite le « ras-le-bol » ?

Une fois n’est pas coutume, les médias français se sont engouffrés dans la brèche ouverte par le gouvernement lors de la faute de communication de Pierre Moscovici sur France Inter le 19 août, lorsqu’il a affirmé « comprendre le ras-le-bol fiscal » des Français. Un ras-le-bol, qui rappelons-le, partant d’un « ressenti » de la part du ministre de l’Economie et des Finances, s’est peu à peu métamorphosé en une réalité sociale clivante et fumeuse, relevant davantage d’une construction médiatique globale et consentie que de l’analyse solide dont les journalistes auraient besoin, à l’aune des municipales de 2014. En effet, les principaux chiens de garde du pays se sont empressés de reprendre et d’alimenter l’idée d’une fiscalité déraisonnable, qui orienterait toujours plus l’opinion publique vers son désamour déjà affirmé envers la majorité actuelle. Les journaux tels le Figaro, Libération, le Monde, ou encore Le Parisien, L’Express, Le Télégramme – participant, plume contre plume, à cette nouvelle fronde – ne s’avèrent être que l’illustration du recours à la facilité que représente l’entreprise des sondages en France : 86 % des Français, selon l’étude de l’Institut CSA-Nice Matin du 15 septembre, seraient « opposés » à la hausse des impôts (où 49 % des Français disent ressentir « tout à fait » un « ras-le-bol fiscal » et 35 % « plutôt »). Et cela a entre autres suffi à donner du grain à moudre aux fers de lance de la pensée dominante, de la démagogie, sans réelle pédagogie ni éclaircissement de l’information.Rz_112a

La réforme fiscale du gouvernement vise à récolter 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires, c’est un fait. Or, entre 2000 et 2010 les baisses d’impôts mises en place par la droite s’étaient élevées à 120 milliards d’euros, et comme chacun sait, au bénéfice des Français les plus aisés et des entreprises. Le résultat de cet acte – aujourd’hui réclamé de la part de (presque) tous les fronts – avait été le sacrifice des recettes fiscales, des dépenses publiques, et en conséquence des services régaliens de base que sont une éducation ou une santé gratuite et de qualité. Ajoutons à cela, l’évasion et la fraude fiscales, qui se sont soldées à presque 80 milliards d’euros de pertes pour l’Etat provoquant une baisse de recettes fiscales et donc de dépenses publiques. Quant à ce que le gouvernement actuel initie au travers de l’augmentation de la part des prélèvements obligatoires serait, selon Guillaume Duval d’Alternatives économiques, une tentative de retour au niveau de 1999. Les mesures supplémentaires pour 2013 n’auraient ainsi eu que pour effet de ramener la fiscalité des revenus et du capital des ménages au niveau qui était le sien en 2000, avant la débauche des baisses d’impôts pour les plus riches et les entreprises.

L’illusion du « ras-le-bol fiscal » ne fait finalement que cacher le réel problème : l’injustice fiscale. Ne pourrait-on pas plutôt parler de ras-le-bol contre la fraude fiscale – dont l’insuffisance de lutte contre cette dernière a été récemment pointée par la Cour des comptes – plutôt que de « ras-le- bol fiscal » ? A trop jouer le jeu des crispations françaises, passe-temps favori des entrepreneurs de morale médiatiques, on en oublie la source, le bois dans lequel le bateau qui nous mène a été construit. Nous parlons ici des dépenses des ménages et de leur pouvoir d’achat, qui comme toujours pour les moins aisés, et disons-le clairement pour la classe ouvrière, seront davantage affectés que ce que ne font justement pas ressortir les journalistes. Quid des 135 milliards de TVA, taxe inique qui est payée majoritairement – car ils sont plus nombreux – par les « pauvres » et qui va augmenter cette année ou encore la précarité des jeunes qui sont sujets à des charges de logement de plus en plus élevées, à l’abaissement prévu du quotient familial ainsi qu’à la suppression de la réduction d’impôts pour les frais de scolarité ?

Au lieu de cela, on préfère plutôt s’engager dans une entreprise d’empathie feinte vis-à-vis de l’ensemble des Français qu’on réduit à leurs présupposés protagonistes : les « classes moyennes », terme incluant 80 % de la population – allant des ouvriers qualifiés aux cadres supérieurs – et ne visant qu’à effacer le « clivage de classe »

Voilà encore de la part des médias un accès de facilité qui relève cette fois-ci du manque total de professionnalisme, et bien plus grave encore, du mépris pour ceux qui vont réellement payer, ou qui vont finalement échapper au consentement de l’impôt, ces derniers étant bien souvent les plus aisés, en témoignent les cadeaux accordés dans le domaine de l’immobilier. Et si la classe capitaliste s’indigne facilement des impôts versés à l’Etat, aucune voix ne semble s’élever contre la hausse du gaz qui a augmenté de 80 % entre 2004 et fin 2012 ou encore l’électricité dont le prix du kilowatt a augmenté de 7,5 % en un an. Comme le note à juste titre Hubert Huertas dans son article « Ras-le-bol fiscal : l’overdose » : « A écouter le discours dominant (…) il est plus supportable de régler sa note de gaz que de payer un professeur ». C’est ce même discours qui montre du doigt la France pour l’ensemble de ses taxes qui représentait 42,9 % de la richesse nationale en 2010 – moins que le Danemark (47,6 %) mais bien plus que le Royaume-Uni (34,9 %).

Discours, qui semble oublier que les Français profitent, ont profité et profiteront de services rendus par une action publique bien plus développée que chez son voisin britannique : si les Anglais paient moins d’impôts, il ont beaucoup plus de frais personnels à couvrir par rapport à l’école ou encore aux retraites.

Encore un autre volet oublié, c’est celui des élections municipales du mois de mars 2014. Car on assiste bien plus à un débat entièrement politisé qu’à une véritable analyse de la situation économique, fiscale et budgétaire qui s’annonce pour la France, et qui bien évidemment s’inscrit directement dans le contexte électoral des élections municipales. En effet, au sein de l’opposition, les candidats UMP n’ont pas tardé à réagir en instrumentalisant le débat national sur le « trop plein-d’impôts » en un débat local en en faisant un axe de sa campagne pour les municipales. Pourtant, comme le rappelle Hervé Gattegno sur RMC, l’UMP semble sciemment oublier que sur ces 4 dernières années, s’il y a eu 60 milliards d’augmentations d’impôts tous confondus, plus de la moitié d’entre eux – soit 33 milliards – ont été décidés sous Nicolas Sarkozy et François Fillon qui aujourd’hui, ne cesse de décrier l’ « assommoir fiscal » à propos de la politique actuelle. C’est donc en réduisant le débat sur la politique économique à un simple « poujadisme fiscal » que l’UMP a décidé de discréditer la politique nationale tout en flattant le contribuable.

L’UMP a ainsi lancé mercredi 18 septembre une campagne qui prévoit la diffusion de plus d’un million et demi de tracts et d’affiches sur le thème « 50 milliards d’impôts : trop c’est trop! », « Libérons les Français » ou encore « Trop d’impôt tue l’emploi ». Selon ces tracts, les candidats UMP aux municipales « s’engagent à ne pas augmenter les impôts », voire à les baisser. C’est notamment le cas à Paris où Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) a brandi la diminution fiscale en étendard – quelques semaines avant que les contribuables ne reçoivent la facture de leur taxe d’habitation – en annonçant un « allègement de la pression fiscale » et une baisse du budget de la ville de Paris de 1 milliard d’euros (sur un total de 8 milliards) et sans préciser où se feront les coupes budgétaires. En face, la candidate du Parti socialiste, Anne Hidalgo, se dit « soucieuse du pouvoir d’achat des Parisiens » et estime que le « gouvernement est allé trop loin dans l’augmentation des impôts » mais s’oppose aux dires de NKM sur la supposée augmentation de 40 % des impôts parisiens sous Delanöe. Si la candidate PS concède deux hausses de 8 % et 9 % des impôts locaux, et la mise en place d’une taxe de 3 %., elle rétorque d’un ton moqueur : « Il suffit de savoir compter : 9 + 8 ce sont les deux augmentations qu’il y a eu en 2009 et en 2010, plus 3 % la création d’une taxe départementale, ça ne fait pas 40 % ». Cette rixe fiscale montre que le gouvernement social-libéral n’a finalement abouti qu’à une chose : la création d’un sentiment de défiance vis-à-vis de l’impôt qu’il essaie maintenant de désamorcer.

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