La presse et le racisme : l’affaire Taubira

9 mars 2014

La presse et le racisme : l’affaire Taubira

amsLe 18 novembre, la conseillère municipale UMP de Combs-la-Ville, Claudine Declerck, a démissionné après avoir partagé sur son compte Facebook une caricature de Christiane Taubira intitulée « Y’a pas bon Taubira », en référence à la célèbre publicité néocolonialiste (Le Monde, 18/11/2013).

Cet épisode est à l’image des comportements racistes auxquels la société française est confrontée depuis plus d’un mois déjà. Christine Taubira, garde des Sceaux, en est le symbole : elle a fait les frais d’agressions verbales dégradantes et offensantes. Les langues se délient et certains n’ont désormais plus honte de s’attaquer à une ministre, de la Justice, qui plus est.

Le 17 octobre déjà, Anne-Sophie Leclere, alors candidate du Front national à Rethel (Ardennes) pour les municipales de 2014, intervient dans l’émission Envoyé Spécial consacrée aux « nouveaux visages » du FN. Interrogée sur un photomontage publié sur sa page Facebook y représentant Christiane Taubira à côté d’une photo d’un jeune singe, la militante s’est justifiée en assurant que cette image n’était pas raciste. Selon la candidate FN, « ça n’a rien à voir, un singe reste un animal. Un Noir, c’est un être humain ». (Jdd, 18/10/2013). À croire qu’en plus d’une subtilité douteuse dans la métaphore filée par Leclere, celle-ci cherche à se défendre d’une logique tout aussi hasardeuse. Le couperet tombe dès le lendemain avec sa suspension. Florian Philippot, vice-président du FN, évoque une « erreur de casting ».

On sait les citoyens touchés par le scepticisme à l’égard du gouvernement en place. En témoigne la manifestation organisée par l’association « catholique intégriste » Civitas, le 20 octobre à Paris, en réaction aux propos de Pierre Bergé ayant affirmé sur RTL son désir de voir supprimer toutes les fêtes chrétiennes du calendrier. Criant à la « cathophobie », la manifestation s’est rapidement transformée en un véritable cirque du « tous pourris » en s’échauffant sur les francs-maçons avant de s’attaquer à Christine Taubira, du fait de son rôle dans l’instauration de la loi sur le mariage pour tous, via la voix de l’Abbé Xavier Beauvais qui entonne un tonitruant « Y’a bon Banania, y’a pas bon Taubira ». Les images de cette injure seront reprises par le Petit Journal dans une séquence vidéo intitulée « La manif qui sent bon la pastille Vichy ». Tout est dit.

Cinq jours plus tard, la contamination est avérée. En déplacement à Angers, la ministre se fera insulter devant le palais de justice, cette fois-ci par des enfants. Pensant par ce geste ignoble suivre les sages idées de ses parents, une fillette brandit la « banane de la discorde » en traitant Christiane Taubira de « guenon », ce qui lui vaudra un billet aussi cinglant que poétique de la part du chroniqueur de France Inter, François Morel. L’incident fait l’objet d’une question à l’Assemblée, le malaise est présent, mais on hésite encore à donner trop d’importance au sujet. Risque de médiatisation excessive du racisme ? Pourtant, les consciences s’éveillent et les contre-discours s’affirment comme dans le cas de Harry Roselmack qui s’interroge, dans une tribune, sur le retour du racisme en France.

Il faut attendre la Une de l’hebdomadaire Minute du 13 novembre – sur laquelle on peut lire « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane » – pour que naisse un soutien quasi unanime. Pendant que Jean-Marc Ayrault saisit le procureur de la République de Paris, Manuel Valls, annonce que le gouvernement étudie « les moyens d’agir contre la diffusion du journal ». Du côté des intellectuels, l’écrivain Marie Darrieussecq a dédié son prix Médicis à la ministre de la Justice alors que plusieurs personnalités – dont l’historien Benjamin Stora et l’actrice Jeanne Moreau – ont cosigné une tribune intitulée « Nous sommes tous des singes français » afin de dénoncer l’ « infâme » Minute.

Enfin, si Marine Le Pen a qualifié d’un « archi-nul » la Une de Minute, elle n’a pu s’empêcher d’attaquer Christiane Taubira sur le fait qu’elle serait « anti-française », point sur lequel le père de la présidente du FN semble (enfin) s’accorder. Face à l’hypocrisie d’une extrême droite qui prétend « mépriser » le racisme tout en continuant de jouer les néocolonialistes en fustigeant le passé indépendantiste de Christiane Taubira, laissons à la principale intéressée le soin de conclure. Lors de la journée du 16 novembre que la scène du TARMAC a consacrée à Frantz Fanon, la ministre de la Justice a clamé – 52 ans après la parution des Damnés de la Terre – que le racisme « a forcément recours au bestiaire, il évoque la réputation du jaune, les hordes, les grouillements. […] Ces gens-là, décidément, n’ont pas d’imagination. Voilà pourquoi ils sont déjà vaincus. Mais nous devons non seulement les vaincre, mais le leur faire savoir. Il faut qu’ils sachent qu’ils sont vaincus, du passé, déjà finis, dévitalisés, desséchés ». Lors d’un rassemblement contre les extrémismes organisé par le PS à la Mutualité le 27 novembre, Manuel Valls a affirmé que Christiane Taubira et lui-même formaient un « beau couple ».

Face aux attaques portées contre la République, le ministre de l’Intérieur a réaffirmé la « force de l’état de droit » qu’il incarne auprès de la ministre de la Justice. Lors de ce meeting, la garde des Sceaux a été ovationnée et a répondu à ceux qui l’avaient attaquée : « Ils commencent par vilipender les apparences, ils commencent ainsi par la différence qu’ils voient et ils finissent par celle qu’ils imaginent. Et ils mettent tout le monde et chacun en danger.» Et après avoir prononcé un plaidoyer poignant pour la défense de la République et de son école, Christiane Taubira a clamé derechef qu’elle continuera de « barrer la route » aux « racistes, antisémites et xénophobes ».

Après cette mobilisation politique, ce fut au tour du monde de la culture d’organiser une soirée contre le racisme au théâtre du Rond-point, le 2 décembre dernier. Là encore, une poignée de militants d’extrême droite attendait Christiane Taubira dans le seul but de la conspuer. En dépit de quelques sifflets, la ministre a rappelé que sa personne comptait peu et que son « inquiétude profonde » était pour ces millions de personnes que compte le pays et qui sont de nouveau affectées par ces violences. A l’intérieur du théâtre, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, est présente auprès de Harlem Désir, le premier secrétaire du Parti socialiste, ainsi que de Valérie Trierweiler. A leurs côtés, des acteurs,  musiciens et humoristes sont là pour soutenir la ministre de la Justice. L’humoriste Guy Bedos y a résumé la tâche difficile du combat contre le racisme avec un bagou et une crudité verbale qu’on lui connaît bien : « Il faudrait un traitement médical contre la connerie ! Parce que le racisme, c’est de la connerie ! ».

Contre le racisme et pour l’égalité des droits
(déclaration de Fabienne Haloui, membre du comité exécutif national du PCF, responsable du secteur droits et libertés.)

C’était il y a 30 ans, jour pour jour. Le 3 décembre 1983, près de 100 000 manifestants défilaient de la place de la Bastille jusqu’à Montparnasse, 1 mois ½ plus tôt une trentaine d’enfants d’immigrés et de militants anti racistes étaient partis de Marseille en décidant de marcher dans la voie de Martin Luther King. Victimes de violences racistes,  maintenus dans l’invisibilité, ces jeunes, fils et filles nés sur le sol français de parents immigrés, ont choisi alors une action pacifique pour demander ce que la République leur refusait : l’égalité. Aujourd’hui, force est de constater que le combat est loin d’être gagné. Les attaques abjectes contre Christiane Taubira et le racisme ordinaire subi par des millions de Français anonymes nous démontrent qu’il ne faut jamais baisser la garde.
Trente ans après, sur fond de crise économique, malgré certaines avancées, un constat s’impose : notre société n’a pas traité ses enfants à égalité. A situation sociale égale, les enfants et petits enfants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont plus discriminés. La couleur de leur peau et leur patronyme en font des éternels immigrés ! Français à 97 % ils se sentent toujours perçus comme des «issus de », et à 67 %, ils pensent que « le regard des autres ne fait pas d’eux des Français ». Rien d’étonnant puisqu’un Français sur trois conteste leur appartenance à la nation.

Au nom d’une France mythique, mais irréelle, les théoriciens du choc des civilisations identifient la menace, une immigration de masse et un nouvel ennemi de l’intérieur, le musulman. Ils déplacent ainsi la question sociale sur le terrain identitaire favorisant le développement d’un racisme culturel, largement banalisé par la mandature Sarkozy, un racisme décomplexé et assumé comme en attestent les propos tenus sur les Roms ou les musulmans.

La lutte contre le  racisme passe par la conquête de droits pour rétablir l’égalité entre toutes et tous. Le gouvernement doit donner l’exemple en déclarant la lutte contre le racisme et les discriminations, grande cause nationale, en produisant des actes concrets pour l’égalité parmi lesquelles : le droit de vote des résidents étrangers, la mise en place d’un récépissé contre les contrôles au faciès, la régularisation des sans-papiers. La réalisation d’un travail de mémoire et d’histoire critique sur la colonisation et les migrations est aussi indispensable : vieux pays d’immigration, pluriel, métissé, multiconfessionnel la France ne se représente pas et ne s’assume pas comme tel. Ouvrons ce débat ! La France est la France lorsqu’elle fait vivre ses valeurs de liberté d’égalité et de fraternité n’en déplaise à Jacques Bompart, maire d’Orange qui considère que les inégalités sont naturelles et qu’il faut donc les respecter. La France n’est pas celle des nostalgiques de l’ordre colonial n’en déplaise à Jacques Bompart qui s’apprête à baptiser une avenue du nom d’un partisan de l’Algérie française. C’est avec la France telle qu’elle est dans sa diversité que nous devons inventer la société du vivre ensemble, solidaire, laïque, fondée sur l’égalité des droits pour tous, le refus des discriminations, le respect de l’altérité culturelle, la citoyenneté de résidence, la valorisation de la culture du métissage.

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Commentaires

Edem
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Il faudrait vraiment un traitement médical comme cette connerie qu'est le racisme. J'ai dit. Voilà j'ai aimé cet article

Serge
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trÈs belle argumentation