Le pape, marxiste ?

2 janvier 2014

Le pape, marxiste ?

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Cette année fut marquée par l’accession de l’Argentin Jorge Mario Bergoglio à la tête du Vatican, et désormais plus connu sous le nom de «pape François» (premier du nom et 265e successeur de l’apôtre Pierre). Il a fait figure, depuis son élection le 13 mars, d’un progressisme et d’un socialisme jusqu’alors affaiblis par certaines représentations de l’Église la montrant comme une institution sclérosée, conservatrice et représentative de la domination du «Nord» sur les pays «du Sud».

Tout récemment élu « personnalité de l’année » par le magazine Time, le pape François incarne désormais une « Eglise des pauvres », celle qui réussirait, au nom des fondements chrétiens de la miséricorde et du rapprochement avec les populations marginalisées, à  » capturer l’imaginaire de millions de personnes qui avaient cessé d’espérer quoi que ce soit de la part de l’Église « , selon la revue. Le pape a ainsi prononcé, à l’occasion de son premier Noël à la tête du Vatican, sa bénédiction urbi et orbi, le 25 décembre, sur la place Saint-Pierre à Rome, devant près de 10 000 personnes. Il a notamment délivré un message de paix et de dialogue, en appelant à la fin des conflits en Afrique et au Moyen-Orient. Il a souligné l’importance de l’aide humanitaire en Syrie, et du sort des enfants et des migrants victimes des conflits, appelant au passage, selon France Info, au respect de l’environnement. Vaste programme.

Un discours critique sur les conséquences du libéralisme actuel

Portant le projet d’une Église « pauvre, humble, dépouillé des attributs du pouvoir, qui dialogue avec le peuple », le nouveau Pape, associé par certaines analyses hâtives à la « théologie de la Libération », porte ainsi un discours critique sur les conséquences du libéralisme actuel, allant jusqu’à dénoncer la vacuité de la théorie du trickle down (ou « théorie du ruissellement »). Cette théorie supposerait que la croissance économique, favorisée par le libre marché, atteindrait l’objectif d’une meilleure équité à travers le « ruissellement » du capital issu de la consommation et de l’investissement des riches vers les plus pauvres. S’il ne rompt pas réellement avec les discours traditionnels de l’Église (Pie XI dénonçait déjà en 1931 « la dictature des marchés financiers », il aura étonnamment fallu attendre la fin de l’année pour que s’élèvent les premières accusations de la part d’éminents ultra-conservateurs nord-américains, à l’instar de Rush Limbaugh, animateur radio méthodiste réputé outre-Atlantique. Ce dernier aurait qualifié de « marxisme pur » un texte publié par le pape (l’exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » ) fin novembre, et qui critiquait vertement la dictature d’un marché « implacable » et la « culture du déchet ». Jonathon Moseley, membre du Tea Party, a lui précisé que « Jésus était un capitaliste prêchant la responsabilité personnelle, pas un socialiste »

« Une théologie du Peuple »

Le pape François a ainsi dû se défendre de ces « accusations » devant le journal italien La Stampa le 15 décembre, confiant cependant sa proximité avec des catholiques marxistes qu’il a qualifiés de « gens très bien », mais confirmant l’idée selon laquelle pour lui, cette théorie « était erronée », lui préférant l’invocation d’une « théologie du Peuple ». Se défendant ainsi de vouloir apporter une quelconque analyse économique technique ou de l’ordre de l’expertise, il a reçu le soutien de certains représentants de l’Eglise : ainsi, l’évêque David L. Ricken, au cours de la conférence des évêques des Etats-Unis, pourtant réputée très conservatrice, a au contraire salué les propos du pape, le qualifiant  » d’exemple vivant de la nouvelle évangélisation . Au sein de l’épiscopat français, Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, a qualifié François de  » fidèle à la doctrine sociale la plus classique de l’Eglise, à savoir que le marché ne peut pas suffire à prendre en charge le bien commun: l’Etat doit participer à cette tâche « .

« Le catholicisme avait bien été la première Internationale de l’Histoire »

Ces relents de maccarthysme montrent ainsi comment les voix dominantes entendent représenter un monde des idées manichéen, et de fait insoluble. Le pape s’est expliqué, selon lui : « Les exclus ne sont pas des “exploités”, mais sont bien considérés comme des déchets, des restes », écrivait-il ainsi dans son exhortation. Visant certes une société qui prône le consumérisme, et pouvant ainsi s’apparenter au fétichisme de la marchandise décrit par Marx, lpour le pape François la collusion entre l’Eglise et le politique doit se faire à travers le peuple et en cela rien d’inquiétant, a priori. Mais l’accuser de marxisme reviendrait ici à instrumentaliser un discours qui pour certains membres membres de l’Église, à l’instar de Jean-Yves Naudet (professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille et président de l’Association des économistes catholiques), ne se détache pas de la position traditionnelle, mais complexe, de l’Eglise.

En effet, le souverain pontife en appelle directement à la doctrine sociale de cette dernière, qui reconnaît pourtant bien la propriété privée comme « l’une des conditions des libertés civiles », devant être équitablement accessible à tous, mais qui resterait cependant subordonnée à l’usage commun et à la destination universelle des biens, comme l’avait rappelé l’encyclique Laborem Exercens de Jean-Paul II en 1981. Ce dernier écrira pourtant plus tard, en 1987, dans son encyclique Solicitudo rei socialis, que l’Eglise « adopte une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral et du collectivisme marxiste, deux conceptions du développement imparfaites et ayant besoin d’être radicalement corrigées ». Position donc ambigüe et qui n’a d’ailleurs peut-être pas à manifester de partialité idéologique pure et simple. Car au fond, ce débat n’a certainement pas lieu d’être, le coeur du discours du pape ne se situant pas sur quelque terrain idéologique ou économique, mais bien social, et, dans un sens, politique. Si les positions de l’Église s’interprètent, elles peuvent aussi être écoutées. Et cela me rappelle néanmoins un de mes anciens enseignants, qui nous avait affirmé qu’après tout, « le catholicisme avait bien été la première Internationale de l’Histoire ». A méditer ?

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Commentaires

bouba68
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Bel article, belle plume. Le sujet est aussi interessant. Bon courage!

Emile Bela
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Bel Article,
je compte écrire un billet sur le sujet. Tu es vraiment allé en profondeur et c'est pas faire pour me déplaire. Courage pour la suite.

Amitiés

Serge
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belle réflexion sur le pape... :)
Le rapprochement avec des intellectuels comme Leonardo Boff (théologie de la liberation) peut cependant faire rire ici au Brésil...